Un Alsacien au Japon – épisode 11
Kawaii !
C’est le cri de guerre des jeunes filles ici. Il faut bien insister sur la lettre « i » surtout. La première fois qu’on hurle ça dans vos oreilles, vous ne savez pas si vous venez de faire une bourde ou si, au contraire, c’est votre moment de gloire. En réalité, vous venez juste de montrer une photo de vous avec un chat.
Kawaii peut être traduit par le mot « mignon ». En gros, tout ce qui est petit, rond et doux est kawaii. C’est un peu l’équivalent de notre « trop chou », sauf qu’en France vous ne diriez jamais du logo d’un poste de police qu’il est trop chou (un écureuil volant en l’occurrence).
Car au Japon, le kawaii est partout. Publicités, modes d’emploi, banques, administrations. La moindre affiche, le moindre document, quel qu’il soit, sera orné d’un petit personnage genre Pokémon. Vous venez de recevoir vos papiers de résident à la mairie, un lapin apparaît à côté de votre nom. Vous ouvrez un compte en banque, c’est encore un lapin qui vous souhaite la bienvenue. Vous commandez une bière, les 25cl sur votre verre seront indiqués par un petit chat qui dort. Les barrières de sécurité lors de travaux, elles, sont à l’effigie du personnage Hello Kitty !
Et même si c’est mignon, c’est quelque part toujours très sérieux, à tel point qu’au Japon, chaque région est représentée par sa mascotte (yuru-chara), gros ourson ou daim jovial et qui promeut les attractions touristiques du coin. Ces personnages, sous couvert d’enfantillage, sont en effet de véritables publicités ambulantes et ont pour but de booster l’économie locale. Kawaii mais pas con…
Imaginaire et business
Vous aviez déjà été surpris au moment de monter dans l’avion quand vous aviez reconnu sur le fuselage les couleurs d’un des robots de Stars Wars, mais maintenant, c’est votre quotidien qui baigne dans la pop culture. Aucune distinction entre l’imaginaire et le business : pour vendre la dernière boisson à la mode, on préférera le personnage d’un célèbre dessin animé plutôt qu’un top model. Imaginez donc une affiche géante sur un immeuble en France, avec Astérix vantant les mérites d’un soda.
Au quotidien, cela vous donne l’étrange impression d’être dans un immense parc d’attractions. Au Japon, on garde donc son âme d’enfant, une visite d’une salle de jeux vous le confirmera. Sur plusieurs étages, ces lieux regroupent dans un enfer auditif tout ce que vous pouvez imaginer de bornes d’arcades et autres simulateurs. A la pause de midi, rien d’étonnant donc à trouver un employé de bureau qui se défoule en frappant sur d’énormes tam-tams ou de voir deux jeunes gens s’affronter avec des sabres en mousse. En sortant de là, à deux doigts de la crise d’épilepsie et presque sourd, vous ne manquerez pas de vous arrêter acheter un énième gadget tiré d’un gashapon, ces distributeurs de jouets en plastique alignés dans la rue par série de cinquante.
Votre porte-clé sushi-chaton (un chaton posé sur un sushi) fièrement accroché à votre trousseau, vous vous apprêtez à traverser la rue pour reprendre le métro, c’est là que vous voyez passer devant vous six touristes déguisés en personnages du jeu Super Mario, faisant la course dans des karts. Après tout, pourquoi pas, plus rien ne vous étonne. Encore que… quand un ami vous donne rendez-vous « au pied du robot » sur l’île d’Odaiba (dans la baie de Tokyo), vous imaginez une petite statue au milieu d’un square. Sortez l’appareil photo, le robot en question mesure 18 mètres de haut (réplique exacte d’un personnage de dessin animé), pas moyen de le rater. Adossé aux pieds de la sculpture, vous jetez un coup d’œil fébrile vers le haut du monstre, des fois qu’il se mette à bouger, désormais, c’est sûr, plus rien ne vous surprendra.