Un Alsacien au Japon – épisode 19

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Lost in translation

 

Depuis trois mois, l’épicerie d’en bas de chez vous (Lawson) est un peu votre seconde maison. Garde-manger, bureau, pas une journée sans que vous vous y arrêtiez pour acheter votre déjeuner, faire des photocopies ou faire les courses pour un pique-nique.

En France, vous auriez déjà instauré une sorte de complicité avec le personnel du magasin, un petit mot sur le temps, un commentaire sur vos achats, bref, un petit échange quotidien avec votre épicier. Ici, forcément, c’est plus compliqué, déjà parce que vous ne parlez pas japonais et puis aussi parce les gens ne dialoguent pas facilement et encore moins avec des étrangers. Il y en a même qui vous évitent…

Ces petites épiceries emploient souvent des étudiants qui se relaient jour et nuit. Dès votre arrivée, vous en avez remarqué un, le plus jeune de l’équipe, qui semblait toujours faire en sorte de vous esquiver. Vous étiez en rayon, il fonçait derrière le comptoir, vous arriviez à la caisse, il rangeait les produits frais. Louche. Vous ne vous attendiez pas non plus à de franches accolades à l’italienne mais tout de même, de là à vous fuir, c’était gênant.

Tête de monstre ?

Evidemment, vu la fréquence de vos visites, votre étudiant timide a bien fini par devoir vous encaisser. Il ne vous avait pas vu venir, « bonjour » automatique, puis, au moment de relever la tête, petit mouvement de recul avant de replonger le regard sur ses pieds et d’empaqueter vos achats sous une litanie de mots japonais. En sortant vous aviez cherché votre reflet dans la vitrine pour vérifier que vous n’aviez pas une tête de monstre.

Au fur et à mesure de vos passages, vous avez tout de même apprivoisé votre froussard en travaillant vos formules de politesse et en gardant un imperturbable sourire, technique propre à l’Asie. Vous n’avez pas fait 10 000 km pour effrayer les gens et l’époque de Marco Polo est bien loin.

Il allait avoir à composer avec un gaijin

Le statu quo était établi jusqu’à hier. Heure de l’apéro, petite course au Lawson, arrivé en caisse, c’est vous qui ne faites pas attention au vendeur et voilà que soudain l’on s’adresse à vous dans un anglais parfait. Étonné, vous levez les yeux vous attendant à trouver devant vous un Lord de Cambridge. C’est votre petit étudiant, tout sourire, qui traduit chacune de ses phrases en direct. Là vous rattrapez d’un coup deux mois de discussion. « Comment allez-vous ? » « Voulez-vous un sachet ? » « Des baguettes ? » « Avez-vous notre carte de fidélité ? » « La voulez-vous ? » « Merci, en espérant bientôt nous revoir dans notre magasin… » Vous ressortez étourdi par cette prouesse langagière, tout juste capable de balbutier un « thank you ».

C’est que vous, vous n’étiez pas prêt, alors que le petit jeune, lui, oui. En fait, cela fait trois mois qu’il préparait son coup d’éclat. Il avait vite compris que désormais il allait avoir à composer quotidiennement avec un « gaijin » (étranger) et en bon japonais, soucieux du protocole et du savoir-vivre, il a potassé son anglais de façon à pouvoir assurer une prestation impeccable et que vous pourriez enfin comprendre.

Votre canette à la main, sur le chemin du retour vous vous sentez un peu bête, vous avez presque envie de retourner voir votre nouveau copain pour papoter du temps qu’il fait ! Puis, vous vous dites que ces gens sont franchement formidables et que la moindre des choses serait d’essayer de leur rendre la pareille. La prochaine fois que vous descendrez au Lawson, vous tâcherez d’aligner une ou deux phrases de votre meilleur japonais et qui sait, vous vous ferez peut-être un ami.

 

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