Un Alsacien au Japon – épisode 28
Le petit prince
Société disciplinaire et exigeante avec ses compatriotes, le Japon fait pourtant une exception le temps de la jeunesse. Ici, la notion d’enfant roi n’est pas qu’une expression et les petits nippons sont choyés.
Il faut dire que la natalité est en baisse, pour ne pas dire en berne, la faute justement à cette société qui en demande tant à ses travailleurs et qui maintient encore un fort patrimoine patriarcal. Si la génération des trentenaires ne fait pas de gamins, c’est que monsieur travaille jusqu’à pas d’heure, puis doit encore sortir avec ses collègues et patrons, rentrant donc souvent tard et un peu pompette avec comme perspective de devoir remettre ça le lendemain. Peu de place pour roucouler avec des semaines pareilles.
Modèle rigide et classique
Le gouvernement s’en est bien rendu compte et a même mis de nouvelles mesures au point, comme la réduction des heures supplémentaires (plafonnées désormais à 100h/mois) ainsi que la création de nouveaux jours fériés pour inciter les jeunes couples à passer plus de temps ensemble… Si madame est enceinte, elle laissera irrémédiablement sa carrière de côté pour s’occuper désormais exclusivement de l’enfant et ce sans jamais revenir à la vie active.
Il existe peu de structures de type garderie au Japon ; élever un enfant est le devoir de la mère. Là encore, un modèle rigide et tristement classique qui ne pousse pas la jeunesse à se marier et procréer. Les demoiselles veulent conserver leur carrière et leur liberté (et elles ont bien raison), quant aux jeunes hommes, ils ne voient plus l’intérêt de travailler non-stop pour sponsoriser toute la famille entre deux burn out.
Le vrai souci c’est avec les parents
Ceci étant, quand l’enfant est là, il est logiquement le centre de toutes les attentions, pour le meilleur et pour le pire. Sorte de récréation avant de rentrer dans le rang, la prime jeunesse est celle de tous les caprices, qu’on passe d’ailleurs sans broncher. Ce n’est pas qu’ils soient mal éduqués ces petits bonshommes, non, ils enlèvent même leurs baskets pour grimper sur les sièges dans le métro et regarder les stations qui défilent. Le vrai souci c’est avec les parents, et vous ne comptez plus les scènes où ces mini-tyrans mènent leur monde à la baguette.
Un petit monstre qui court dans le magasin en s’emparant de toutes les sucreries à sa portée (glaces comprises, sans refermer le congélateur évidemment) pour les jeter dans le caddie de maman (« Okasan », qu’il hurle à tue-tête). Un autre qui fait une crise et réclame là encore un goûter et qui se retrouve à la table d’un café, assis pendant que les parents, muets, attentent debout juste à côté. Des petits capricieux à qui on excuse tout.
Pas d’école buissonnière
Vient ensuite l’âge d’aller à l’école et de porter l’uniforme qui déjà vous inculque l’esprit de corps. Finie la belle vie, on commence à travailler dur et comme papa, on a déjà l’habitude des heures supplémentaires (options, devoirs). Au passage, on gagne vite en indépendance et vous croisez souvent de petits bambins, en costume gris et bob blanc, qui prennent tous seuls le métro !
Japon oblige, tout est sécurisé et les enfants sont munis d’un dispositif qui indique aux parents et en temps réel où est leur progéniture, à chaque passage de bornes, un signal est envoyé sur le smartphone de maman. Pas moyen de faire l’école buissonnière. Pour le moment, les seules interactions que vous avez avec la marmaille locale (à part refermer les congélateurs dans les magasins après leur passage), se résument à se faire montrer du doigt en chuchotant à l’oreille des parents. Vous vous y êtes fait et prenez un malin plaisir à répondre en tirant discrètement la langue.
« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », écrivait Saint-Exupéry dans Le Petit Prince. Vous vous souvenez encore de votre excitation à Noël et vous vous demandez bien ce que cela va donner ici…