Un Alsacien au Japon – épisode 36
La bougeotte
Les quartiers résidentiels sont charmants mais forcément excentrés. Votre petit immeuble avec son cours d’eau et ses jardins alentours est parfait mais vous oblige à d’interminables moments dans le métro à la moindre sortie. Par curiosité vous avez donc commencé à regarder les annonces de logements dans d’autres parties de Tokyo, plus centrales. Vous avez repéré quelques appartements sur le site d’une agence qui se dit « gaijin friendly » ce qui est assez rare, les Japonais étant très soupçonneux avec les étrangers que nous sommes (et on les comprend).
Un samedi après-midi vous avez donc rendez-vous avec une demoiselle pour faire le point sur vos recherches et qui sait, peut-être trouver un nouveau logement. On se présente, on échange ses cartes de visite (toujours avoir des cartes de visite en réserve sur soi, c’est le b.a.-ba des rapports sociaux au Japon), on remplit évidemment une tonne de papiers puis, enfin, on commence à étudier les offres qui pourraient convenir. Situation, disposition, loyer, on prend vos velléités en compte et au bout de trois quarts d’heure vous avez devant vous une sélection de quatre appartements qui pourraient convenir. C’est à ce moment précis qu’un jeune homme rentre dans le bureau, se présente à vous (re-échange de cartes – d’où la nécessité d’en avoir plusieurs en poche -) et vous indique une voiture garée devant l’agence. Pas de temps à perdre, on vous emmène pour une visite avec chauffeur à travers tout Tokyo !
Vous passez donc l’après-midi entier à parcourir la ville, d’appartement en appartement avec cet agent immobilier / voiturier quasi muet qui marche deux bons mètres devant vous afin de respecter votre espace vital et qui prend soin de vous laisser la climatisation allumée quand il part régler la note de parking.. Pour le reste, l’expérience reste proche de vos souvenirs d’étudiants… Appartement dans un immeuble en plein travaux de rénovation (on s’excuse et on vous dit que c’est presque fini, les types qui donnent du marteau piqueur dans la cage d’escalier n’ont pas l’air de cet avis), mur en béton armé comme vis-à-vis dans le salon ou immeuble datant de la Seconde Guerre Mondiale.
Sur le chemin du retour vous êtes un peu gêné, toute cette prestation et vous qui dites « non » à chaque fois. De retour au bureau vous restez tout de même impartial : rien ne convenait ! Aucun problème, on parle d’autres quartiers à explorer et on convient d’un rendez-vous le samedi d’après, même heure, même programme.
Vous reprenez le métro pour rentrer chez vous et bercé par le rythme vous commencez à réfléchir. Déménager, encore, tout changer à nouveau. Cela fait à peine quelques mois que vous êtes arrivé, il a fallu se construire de nouveaux repères, de nouvelles habitudes. Le chez-soi, les boutiques alentours, le trajet quotidien. Soudain vous vous rendez-compte que finalement vous n’avez pas la force de reprendre tout cela à zéro une fois de plus. Le souvenir de votre dernier déménagement (en France cette fois), est encore présent et vous avez besoin de temps pour vous poser réellement dans cette ville, dans cette vie. Arrivé à votre station, vous remontez la rue commerçante qui mène chez vous et en profitez pour vous arrêter au supermarché pour acheter des sobas (nouilles froides), une fois à la caisse, on vous demande pour la énième fois si vous avez la carte de fidélité: cette fois vous décidez de la faire !