Un Alsacien au Japon – épisode 52
La fuite
Votre logeuse, Mme Takahashi est un très bon exemple d’hyperactivité japonaise. Ces gens ne tiennent pas en place et quand ils ne travaillent pas le weekend, ils bricolent ou organisent des sorties. Il faut toujours avoir quelque chose à faire au Japon (et le faire bruyamment pour que les autres sachent que vous êtes quelqu’un d’occupé). Le lundi, il faut pouvoir avoir des choses à dire. Votre gentille propriétaire, pourtant plus très jeune, s’affaire donc constamment. Soir et matin, et ce malgré l’aide d’un second concierge, elle va et vient dans et autour de l’immeuble dans un vacarme constant. Jardinage, décoration, installation ou départ des locataires, sans oublier les goûters et autres dîners qu’elle prépare pour ses habitants, Mme Takahashi est partout et s’occupe de tout. Vous ne pensiez pas si bien dire…
Daidokoro wa, jaguchi ga tojinaku narimashita
L’avantage (sûrement le seul) de vivre dans 25m², c’est que vous pouvez presque vous brosser les dents au lit. Cuisine et salle de bain sont collées à votre pièce principale qui fait également office de chambre. Or voilà une semaine que le robinet de l’évier fuit. Du petit filet discret, on est rapidement passé à la grosse goutte bruyante qui fait résonner l’inox vous donnant l’impression de dormir avec un métronome. Dans l’immédiat, vous aviez donc trouvé une combine à la MacGyver pour atténuer le bruit et réussir à dormir, mais l’eau fuyait toujours. Vous avez quelques rudiments de plomberie et avez cherché l’arrivée d’eau pour pouvoir la couper et tenter de réparer le mitigeur, hélas, aucune vanne dans votre appartement. Il va falloir demander à Mme Takahashi. Votre japonais s’est légèrement amélioré, mais de là à causer sanitaire, il y a encore du travail. Vous vous préparez donc une petite liste de vocabulaire, photos à l’appui. « Daidokoro » pour la cuisine, « jaguchi » pour le robinet et surtout, votre phrase toute prête, le robinet de la cuisine ne ferme plus, « Daidokoro wa, jaguchi ga tojinaku narimashita« .
un coup de clé, un joint neuf sorti de sa poche, en deux temps, trois mouvements, là voilà qui hurle à nouveau à son amie de remettre l’eau
Un soir, en rentrant, vous sonnez chez votre logeuse et lui faites part de votre détresse. Mme Takahashi vous écoute gravement, rentre chez elle (vous laissant sur le perron, dubitatif) puis ressort aussitôt clé à molette et pince en main, accompagnée d’une amie à elle. Vous la remerciez et pensez qu’elle va vous confier les outils, rien du tout. Mme Takahashi vous pousse vers l’ascenseur et vous accompagne chez vous. Ces dames rentrent et inspectent votre cuisine, s’ensuit une conversation où vous croyez comprendre qu’il s’agit d’eau (mizu) puis Mme Takahashi envoie effectivement son amie fermer l’arrivée d’eau. Ça crie dans la cage d’escalier, tout est sécurisé, on peut intervenir. C’est là que Mme Takahashi se met à bricoler l’évier (tout en vous félicitant pour votre ikebana qui trône sur la petite table à manger), un coup de clé, un joint neuf sorti de sa poche, en deux temps, trois mouvements, la voilà qui hurle à nouveau à son amie de remettre l’eau, l’affaire est réglée, elles peuvent retourner regarder la télé et vous dormir tranquille (sans bruit ni culpabilité). Avec vos mitigeurs au top, vous vous dites que dorénavant vous râlerez moins quand votre logeuse vous réveillera tôt le dimanche matin à grands renforts de cris dans la cage d’escalier. Vous vous dites aussi que vous auriez dû en profiter pour lui parler du radiateur, il fait un drôle de bruit …