Un Alsacien au Japon – épisode 55
Patrimoine et pépettes
À 150 km de Tokyo se trouve la célèbre ville de Nikko. Située au pied des montagnes, elle est un site réputé pour ses temples, ses sanctuaires et son fameux pont rouge: on l’appelle même la petite Kyoto. Un samedi matin, sac sur le dos, vous prenez le train pour aller voir cela de vos yeux. Vos amis et tous ces guides de voyage ne peuvent pas avoir tort !
s’il y a deux choses que les Japonais adorent, c’est la nourriture et les trains!
Sur le quai, vos futurs compagnons de voyage sont bien chargés. Pas d’équipements de randonnée, mais des sachets de victuailles. Vous, vous avez au mieux, pensé à un paquet de chips et une bouteille d’eau, il est à peine midi et le trajet ne dure qu’une heure. Le train arrive (toujours pile à l’heure), on embarque, chacun trouve sa place et là le pique-nique ferroviaire peut commencer. Tout le monde déballe ses petits plats, ses boissons, on se croirait dans un wagon-restaurant et pour cause, s’il y a deux choses que les Japonais adorent, c’est la nourriture et les trains! En chaussettes sur la moquette, vos voisins s’adonnent à un véritable festin et l’odeur vous ouvre l’appétit. On a d’ailleurs remarqué que de votre côté c’est assez frugal et l’on vous propose même de goûter au bon bento fait maison. Le déjeuner terminé, on remballe tout ; c’est l’heure de la sieste et le reste du voyage se fera au son du ronflement et des annonces des gares.
Enfin arrivé, vous avisez le comptoir de l’Office du Tourisme. On vous donne un plan en vous recommandant les sites à ne pas rater. Vous pouvez d’ailleurs acheter à l’avance les billets d’entrée pour chaque temple, des bornes sont à disposition pour cela, tout est parfaitement rôdé. Pas encore vraiment décidé sur votre plan de route, vous vous contentez d’acheter un pass pour le bus et d’aller de suite voir le fameux Shinkyo, ce pont emblématique du Japon. Le centre de Nikko grouille littéralement de touristes et vous n’êtes visiblement pas le seul à vouloir découvrir ses trésors, d’autant plus que plusieurs d’entre eux sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Une fois dans le bus (bondé comme un métro un jour de semaine), vous vous rendez compte que vous auriez mieux fait de prendre votre plan et vos jambes. Il n’y a qu’une route principale dans la petite ville de Nikko et celle-ci est complètement bouchée par le nombre de cars et de voitures.
Du monde partout, des énormes enceintes, des stands de boissons, on se croirait aux Eurockéennes de Belfort
Vous avez au moins le temps d’observer par la vitre la liste des restaurants et magasins de souvenirs jusqu’à ce qu’on vous dépose au pont espéré. Là, c’est la cohue et vous commencez à comprendre que votre week-end à la montagne va vite prendre des airs de voyage organisé. Il y a tellement de monde que le pont en question est fermé, pour l’approcher il faut payer et le périmètre est marqué par des barrières, des chaines et même des caméras. Pour le voyage dans le temps on repassera. Tant pis, il y aura peut-être moins de gens plus tard et il vous reste à découvrir encore les nombreux temples cachés dans la forêt. « Caché » n’est peut-être pas le bon mot après tout. Le paysage est criblé d’affiches et de panneaux vous indiquant où aller. C’est presque à la queue leu-leu que vous arrivez au premier temple où vous découvrez … une scène de concert ! Du monde partout, des énormes enceintes, des stands de boissons, on se croirait aux Eurockéennes de Belfort, pas très zen tout ça. Vous tentez votre chance vers un autre sanctuaire mais là encore, le chemin est balisé de barrières jaunes, de plots rouges, de pancartes et de bancs en plastique. Comprenez, on ne voudrait pas que vous ratiez les merveilles classées par l’Unesco et on a même pensé à mettre des parkings et des toilettes entre deux temples pour pouvoir accueillir un maximum de touristes. Cette ambiance de Disneyland commence à vous courir un peu sur le système surtout qu’il vous faut payer à chaque fois. Lassé de débourser des milliers de yens et fatigué par tous ces photographes du dimanche (ceux qui laissent le son de l’obturateur sur leurs smartphones), vous rentrez à l’hôtel en maugréant contre la mondialisation.
Hors des sentiers battus
Bien sûr, vous aussi vous voulez ramener des souvenirs et évidemment qu’il faut préserver les œuvres du passé mais de là à les transformer en attractions … Le lendemain matin, vous partez tôt et choisissez d’éviter les sites « recommandés » par l’Office du Tourisme (entendez payants). À l’aide de votre plan, vous remontez la rivière Daiya pour arriver à l’orée de la forêt, pas âme qui vive. De là, serpente un chemin entre la montagne et l’eau où vous découvrez une série de petites statues en pierre qui vous mènent à un vieux cimetière au milieu des séquoias. Des pierres couvertes de mousse, le bruit du vent dans les branches et le chant des oiseaux, vous découvrez enfin la vraie beauté de Nikko.