Un Alsacien au Japon – épisode 56

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La tête dans les étoiles

 

Il est un petit plaisir secret auquel vous vous adonnez de temps en temps, celui de boire un verre dans un bar d’hôtel étoilé. À l’image du célèbre Park Hyatt de Lost in Translation, il existe en effet à Tokyo un nombre incalculable de grands hôtels qui abritent de somptueux bars aux ambiances toutes feutrées et aux vues imprenables. Pas besoin d’être Bill Murray cependant pour prétendre à un fauteuil avec baie vitrée. Tokyo est une ville faite pour la classe moyenne, à l’inverse de ses cousines Hong Kong ou Singapour, gros pôles bancaires. Tokyo reste donc en majorité accessible, les établissements pour sortir étant nombreux et en concurrence, ils pratiquent des prix abordables et n’appliquent aucun dress code.

Avec un peu d’aplomb, suffit donc d’aviser l’ascenseur d’une de ses tours, de repérer parmi l’enfilade de boutons celui qui mène au bar et de faire votre entrée comme si vous aviez une chambre à l’hôtel. On vous recevra tranquillement, même en baskets, puis l’on vous demandera si vous souhaitez vous installer dans un fauteuil ou au bar. Au Prince il vaut mieux prendre une banquette près des baies vitrées. Velours et marbre, vous êtes collé à la vitre avec la Tour de Tokyo comme vis-à-vis. Au Cerulean, choisissez le comptoir, perché sur votre tabouret, vous pouvez observer le barman préparer de délicieux cocktails avec pour fond le quartier de Shibuya et plus loin l’immense Yoyogi Park. Pour ceux à qui l’altitude donne des vertiges, aucun souci, un verre au Capitol, dans de profonds siège scandinaves en cuir noir, au milieu d’un parc devrait vous mettre à l’aise. Comme musique, vous aurez toujours droit à un album de jazz en sourdine, quand ce n’est pas un morceau de piano joué live avec parfois même une chanteuse (à ce moment-là, il y aura une petite charge sur votre note pour l’artiste).

Seul ou accompagné, ces lieux forment de petits cocons où viennent se détendre toutes sortes de gens, loin des lumières et de l’agitation des bars des rues. Dans ces temples pour noctambules, vous pouvez entendre le truchement de Babel. Un couple à côté de vous parle une langue que vous avez du mal à définir. Une Indienne traverse la salle vêtue d’un magnifique sari. Au comptoir, entre les effluves d’agrumes et d’alcool fort, se glisse l’odeur puissante d’un cigare (atténuée par une aération toujours excellente) fumé ostensiblement par un Américain sûr de lui. Un peu en retrait, dans l’ombre, un monsieur accompagné d’une femme qu’on aimerait penser être sa fille, affiche grosses bagues et lunettes de soleil malgré la pénombre, façon peu subtile d’afficher son appartenance à la mafia locale (le costume légèrement brillant vous avait déjà mis sur la piste).

Décor grandiose, service sur mesure et population bigarrée, le spectacle vaut bien quelques yens de plus qu’un traditionnel izakaya et qui sait, peut-être que Scarlett Johansson va passer ?

 

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